Pourquoi je boycotte le dispositif de prise en charge des consultations chez le psychologue?


Préambule

Depuis la crise du COVID-19, les besoins de suivis psychiatriques et psychothérapeutiques ne cessent de croître, en institution mais également en libéral.


Au vu de l’engorgement des établissements de soins spécialisés (fermeture de lits en psychiatrie, non remplacement en CMP… et ce depuis plusieurs années), le gouvernement a cherché à mettre un coup d’accélérateur sur la question du remboursement des séances avec un psychologue en libéral. Et ce via, une paramédicalisation de la profession, dont le code de déontologie a pourtant toujours défendu l’autonomie, et un parcours de soin lourd et fastidieux pour la patient.


Si je suis persuadée que le système actuel qui définit nos modes de vie à une grande responsabilité à jouer dans notre santé mentale et si le projet de remboursement est noble et pavé de bonnes intentions, il n’en est pas moins que les conditions de remboursement actées sont désastreuses et mèneront toute ma profession vers la précarisation, la perte de la qualité de soin et… la fermeture de nombreux cabinets libéraux.


En résumé, là où le patient était libre de consulter de manière autonome, le professionnel de son choix, il sera désormais obligé de s’adresser à son médecin généraliste, à plusieurs reprises, puis à un médecin psychiatre s’il souhaite que son soin psychologique se poursuive. Et nous savons tous à quel point déjà leurs cabinets fonctionnent à flux tendu et que la collaboration entre les différents acteurs libéraux n’est pas toujours aussi fluide qu’on veut bien le croire. Enfin, le patient sera amené à consulter des psychologues libéraux, aux compétences modestes, n’ayant plus suffisamment de ressources pour continuer à s’investir dans la formation continue.

A la clôture des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie qui se tenaient lundi 27 et mardi 28 septembre 2021, et pour lesquelles les psychologues n’ont pas été sollicités, Emmanuel Macron est venu annoncer la généralisation du dispositif de  "remboursement" (il est faux d'utiliser le terme de remboursement puisque dans les départements expérimentaux ayant testé le dispositif il n'y avait pas d'avance de frais de la part du patient*).


Aussi, là où l’état propose un dispositif pour bénéficier d’un nombre limité de séances, rémunérant le professionnel entre 30 et 40€ (sans aucune possibilité de dépassement d’honoraires) ; notre réalité qui nous permet de vivre, d’exercer correctement, et d’appartenir à une classe moyenne, base nos consultations à environ 60€ la séance de 45 à 60 minutes (le Syndicat national des psychologues estime à 63€ les honoraires adéquats d’une consultation).

Qu'y a-t-il derrière 60 euros payés chez le psychologue?

  • Une expertise acquise suite à l'obtention d'un Master (Bac+5), voire d'un Doctorat (bac+8)
  • Entre 22.2% (auto-entrepreneur) et 45 à 50 % (entreprise individuelle) d'URSAFF
  • La location d'un cabinet (variant du simple au triple selon la localisation)
  • L'achat et l'entretien de matériel (tests psychométriques pouvant coûter des milliers d'euros, jeux, livres, matériels divers...)
  • Des frais de secrétariat
  • Les prévoyances (santé et retraite)
  • Les assurances et protection juridique
  • Une complémentaire santé
  • une veille professionnelle (livres, formations, colloques, séminaires, revues spécialisées, etc)
  • Les supervisions (1 à 2 par mois) qui permet au psychologue de se faire accompagner par un autre psychologue confirmé sur les problématiques qu'il rencontre dans sa pratique professionnelle.
  • Des temps d'intervision (rencontres entre psychologues pour échanger sur leurs pratiques), des réunions avec d'autres professionnels, institutions. Ces temps ne sont pas rémunérés.*
  • Des formations continues (allant jusqu'à plusieurs milliers d'euros) et les frais de formation (transport, hébergement, repas)
  • Des vacances. Congés non payés!

Projection en cas de vote du dispositif

Voici ce à quoi ressemblerait notre réalité une fois le projet de "remboursement" acté :


A ce jour, et au vu de la proposition actuelle, il me paraît impossible que ceci soit réalisable et satisfaisant pour tous ceux qui œuvrent pour la santé mentale et pour tous les patients qui ont le droit de recevoir du soin de qualité !

C’est pourquoi, comme des milliers de collègues actuellement mobilisés (et notamment derrière le Manifeste Psy, le Syndicat National des Psychologues, la Fédération française des psychologues, l’association ProPsy…), je ne peux pas être favorable à ce dispositif.

Je me vois donc, dans l’immédiat, obligée et contrainte de le boycotter lorsque celui-ci sera impose.

 

Source : Ariane Nguyen, Lefilpsy.fr

*ajouts personnels


  • Prudence Nazeyrollas

Boycott 2022

De nombreux·ses psychologues sont en colère face au dispositif de « remboursement » annoncé par le gouvernement, car il est dangereux pour les patient·es et les psychologues, voici pourquoi :

  1. La prescription initiale

  2. Le parcours des patient·es

  3. Le démantèlement du service publique

  4. La durée des séances

  5. Le prix des séances

  6. Un remboursement qui n’en est pas un

  7. Le mépris affiché de notre profession

Alors que les psychologues n’avaient pas fait grève depuis plus de 10 ans, 2021 aura vu 3 manifestations et grèves de cette profession peu syndiquée et revendicative. Il a vraiment fallu exagérer pour nous motiver le 10 juin, le 28 septembre et le 18 novembre 2021.

 

 

La prescription initiale

 

Ce parcours débutera par une consultation auprès de son médecin généraliste (MG) qui vérifiera les conditions d’admissibilité en faisant passer un questionnaire pour savoir si la personne entre dans la case : « dépression légère à modérée ou troubles anxieux » qui sera le seul motif autorisé.

De plus, toutes les personnes ayant été concernées ou étant concernées par une addiction, une pathologie psychiatrique, des comorbidités, une consommation de psychotrope (24 derniers mois) ou de benzodiazépines (3 mois sur les 12 derniers) se verra automatiquement exclue du dispositif.

Il s’agit d’une grave discrimination en fonction de la santé physique et mentale, et d’une stigmatisation des patient·es psychiatrisées, ce qu’il est hors de question d’accepter.

Cette prescription devra ensuite faire l’objet d’une validation par la CNAM.

 

 

Le parcours des patient·es

 

X va voir son·a médecin généraliste (MG), qui lui fait répondre au questionnaire, il pourra l’adresser à un·e psychologue libéral·e du dispositif qui fera un premier bilan et en fera un compte-rendu au MG, qui pourra alors prescrire 7 séances selon un rythme imposé de 2 à 4 par mois, à la fin des quelles X devra retourner chez son·a MG pour être envoyé·e chez un·e psychiatre qui dira si on peut reprendre 10 séances avec le·a psy.

 

X ne pourra pas changer de psychologue car cela reviendra à perdre ses droits : on ne peut plus changer et être remboursé·es.

 

Non seulement ce parcours est compliqué, mais il implique 3 personnes au lieu d’une et une rupture de la confidentialité entre le·a psychologue et la personne accompagnée.

Le passage par les différent·es acteurs et actrices de soin, santé et d’administration n’offrent pas assez de sécurité pour les patient·es.

Quelles seront les conséquences d’un dossier médical mentionnant des antécédents psychiatriques ? Les soins seront-ils toujours aussi pertinents ou certain·es soignant·es auront-iels tendance à penser que les plaintes somatiques (du corps) sont « dans la tête » ? Faudra-t-il déclarer des antécédents psychiatriques pour les dossiers d’assurance si les personnes veulent contracter un prêt pour devenir propriétaire de leur logement ? Cela augmentera-t-il les primes ? Cela les exclura-t-elles de certaines garanties et protections ?

 

 

Le démantèlement du service publique

 

Depuis des années, les CMP ont des besoins d’argent, de matériel, de soignants, etc. croissants alors que les budgets sont sans cesse l’objet de coupes. Le système de santé est étranglé et suffoque et le gouvernement veut déplacer le problème sur le libéral.

Les patient·es des CMP ont besoin de l’embauche de psychologues dans les CMP, nous ne voulons pas voir nos collègues du publique avec des conditions de travail encore plus dégradées, comme nous ne voulons pas voir les patient·es ne pouvoir être accompagné·es qu’après des délais encore plus longs.

Le risque sera encore plus important pour les patient·es souffrants de maladies psychiatriques et/ou d’addictions qui seraient éjectés du système libéral, sans pour autant être accueillis dans les CMP et pourtant particulièrement à risques.

 

 

La durée des séances

 

La durée des séances (40’ pour la première séance de bilan, 30’ pour les suivantes), ne nous laisse plus le libre choix des outils d’accompagnement (EMDR, hypnose, etc. demandent trop de temps) et cela va directement impacter certains suivis, en particulier ceux liés aux psychotraumatismes car une fois les temps d’accueil, de clôture, de reprise de rendez-vous, il restera 15 à 20 minutes pour vraiment parler des problèmes et des solutions. C’est très court, surtout lorsqu’on sait que 96 % des psychologues pratiquent des séances de plus de 45 minutes.

 
 
 

Le prix des séances

 

Ils ne nous permettront pas de vivre de notre métier. Nous ne pouvons pas enchaîner et recevoir les personnes que nous accompagnons correctement. Généralement, nous prévoyons un temps de battement entre deux rendez-vous pour pouvoir gérer les urgences, les dépassements de temps et souffler afin de ne pas accueillir une personne en pensant encore à la précédente et avoir un œil neuf à offrir à chacun·e.

À 30€ la séance, avec un temps plein et une fois les charges retirées, on arrive à peine à un SMIC horaire, alors que beaucoup d’épuisement et d’administratif sont ajoutés.

 

On pense souvent que les psychologues sont bien rémunéré·es :

- Dans la fonction publique c’est 1404 € en début de carrière

- En libéral c’est 1 663€/mois en moyenne

 

Nous sommes une profession du care (soin) fortement féminisée et comme toutes les professions fortement féminisées, nous sommes déjà sous-payées. De plus, nous devons souvent travailler à temps partiel.

 

 

Un remboursement qui n’en est pas un

 

Le patient ou la patiente n’avancera pas les frais, il ne s’agit donc pas d’un remboursement, ce qui pourrait être bien pour elleux, mais met les psychologues en danger : nous ne serions rémunéré·es qu’en fin de parcours et uniquement si tous les documents administratifs sont parfaits : aucune rature (cf image en bas de l’article) et si la prescription est bien postérieure à la date d’acceptation de la CNAM, et si tout est bien signé (si un document n’est pas bon, il devra être refait et signé à nouveau par le·a médecin, le·a patient·e et/ou le·a psychologue).

Les mutuelles prendront en charge 40 % (bien plus avantageux que ce qu’elles proposent actuellement dans certains contrats). Nos patient·es reçoivent de plus en plus de demandes ubuesques pour être remboursé·es : on nous fait imprimer les factures numériques pour pouvoir les tamponner, parfois les signer, et les scanner (écologiquement parfait pour le gâchis de papier), ajouter diverses mentions (COVID, « psychothérapie » alors que « psychothérapie ou coaching » ne convient soudainement plus, ou « psychologie », etc.), sans compter le nombre de factures papier mystérieusement, et bien sûr accidentellement, perdues de manière répétées par les mutuelles.

 

 

Le mépris affiché de notre profession

 

À de nombreuses reprises nous avons alerté sur les effets pervers et dangereux du dispositif, mais nous n’avons pas été entendu·es. Les politiques ont pris ces décisions sans nous concerter, sans notre accord et malgré nos grèves et manifestations.

Notre travail ne peut pas se faire correctement en 20 ou 30 minutes et nous estimons que les décisions prises avec une totale méconnaissance de notre travail met en danger notre métier et à travers celui-ci, nos patient·es.

Nous sommes tout à fait à même de décider en accord avec le·a patient·e s’il y a besoin d’accompagnement ou non, nous n’avons pas besoin d’une tutelle médicale risquant de mettre à mal l’alliance thérapeutique, la confiance, et le secret professionnel.

Les psychologues ne sont pas la seule profession insultée par ce dispositif. Alors que nous étions libres d’accès et indépendant·es, on nous place sous tutelle médicale. Alors que les prescriptions des médecins généralistes n’étaient pas contestées, elles devront être validées. Et alors que les médecins généralistes et les psychiatres ont bien mieux à faire, bien plus urgent et bien plus en rapport avec leurs cœurs de métiers, iels vont devoir remplir de la paperasserie pour qu’une autre personne puisse exercer son métier et accompagner leurs patient·es.

 

La situation est incompréhensible, ubuesque, et kafkaïenne.
 

Il y a une pathologisation et médicalisation de la consultation psychologique, ainsi qu’une perte de liberté et de choix de l’accompagnant·e.

 

L’accès n’est ni direct (prescription), ni libre puisque le choix est restreint aux psychologues libéraux volontaires (dont le chiffre est actuellement d’un peu plus de 600 sur les plus de 20 000 psychologues exerçant une activité en libéral) et remplissant les conditions à définir. En comparaison déjà plus de 1 000 psychologues ont envoyé des mails d’alerte aux députés.

 

Concernant de nombreux points, ce dispositif est contraire à notre code de déontologie. Nous ne pouvons décemment pas accepter cela, et c’est pourquoi vous assistez et assisterez à un boycott massif des psychologues avec le soutien de leurs syndicats.

 
 

Je respecte mes patient·es, mon métier et moi-même, alors je boycotte ce dispositif ainsi que nombre de mes collègues.